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Mémoires d'un artilleur
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6 février 2015

Entrée à Polytechnique de Paul Bernier, 1910.

Paris, 6 août [1910], samedi, 5h.

Bien chers parents,

Vous recevrez cette lettre sans doute (et je l’espère) un peu avant le télégramme qui vous annoncera le résultat de l’admissibilité ; ce dernier en effet ne paraîtra pas avant demain 11h du matin. Les examens ne se terminent en effet que ce soir et si les deux autres examinateurs peuvent terminer, Hadamond, lui, a encore plus de 12 candidats ! Il va prolonger les interrogations après le souper et il se peut qu’il ne parvienne à terminer que demain matin.

J’ai vu aujourd’hui M. Veilhan[1], l’entrevue s’est bien passée, j’ai attendu un peu longuement dans une antichambre mais j’ai été bien accueilli. M. Veilhan m’a demandé des renseignements sur mon examen de St Etienne d’abord, puis sur l’X. Il m’a dit qu’il lui avait été impossible d'avoir la note de l'écrit mais qu'il essaierait, malgré le rigorisme du directeur des études, une nouvelle démarche. Il m'a demandé mon adresse à Paris, les lieux d'examen et les noms des examinateurs ; au 1er degré, ce sont des Normaliens, et non des X. Au 2e degré, il connaît Laissant, le président de la commission d'examen, et a dit qu'il le verrait. Il m'avait dit qu'il passerait à Ste Barbe ce soir entre 4h et 4h ½ pour voir s'il y aurait moyen de prendre des renseignements mais je l'ai attendu là-bas de 4h moins 10 à 5h moins le quart sans le voir venir ; je suis rentré pour vous écrire. Il est vraiment très dévoué et il paraît porter beaucoup d'intérêt à cet examen, il m'a dit par exemple qu'il avait lui-même vivement conseillé à mon père de me pousser à présenter l'X ; enfin il m'a encouragé et conseillé de ne pas perdre courage jusqu'à la fin. Je suis resté dans son bureau jusqu'à midi et quart, soit une vingtaine de minutes. J'oubliais encore de vous dire qu'il m'a demandé de lui envoyer un mot au Bureau dès que le résultat aurait paru.

Je suis déjà allé deux fois à Louis le Grand voir passer les oraux du second degré aux candidats de la liste précédente. J'ai vu M. Boisent qui interroge en maths : c'est un très vieux professeur, officier de la Légion d'Honneur, ancien X ; il a l'esprit encore vif et interroge sérieusement, il faut être précis et bien savoir. Le deuxième examinateur de maths est M. Vessiat, que je n'ai pas vu, on le dit assez embêtant. En physique, il y a le vénérable Amagat qui tombe… légèrement dans ses bottes ; il a quelques bateaux à lui sur lesquels je tâcherai de me renseigner. En chimie, Gauthier, une vraie tête de buste, au demeurant très calé et assez redouté. Enfin en allemand, Mathis, professeur dans un lycée de Paris.

L'ensemble de ces examens dure en général la semaine ; cependant un papier, affiché dès aujourd'hui, annonce que Vessiat interrogera des candidats de la 7e liste (celle où je compte être dès dimanche après-midi). Les exercices physiques auront lieu le dimanche suivant 14, je pourrai donc, je pense, arriver à Bourg au plus tard dimanche soir ou lundi matin en 8. Et ça ne sera pas trop tôt !

Si je pouvais réussir, bien sûr qu'on oublierait vite tout ça ! Mais c'est dur, le second degré ; il faut atteindre cette année au moins 1650 (le premier degré ne compte pour rien dans le total des points). Or le total des coef écrit et oral est 39 + 82 = 121, ce qui fait qu'il faut plus de 14 de moyenne pour l'ensemble ; comme mon écrit ne doit pas valoir 14, c'est plus de 15 au second degré qu'il me faut. Or l'allemand et les exercices physiques[2] sont peut-être un peu faibles chez moi… Enfin, tous ces calculs ne doivent pas vous effrayer et il faut essayer d'y aller courageusement.

J'ai reçu aujourd'hui une lettre de Grand-mère de Lyon, très affectueuse et très douce ; j'ai reçu aussi un mot de Léonie. Vos lettres de Toulon ne m'arrivent que le soir à 4h, c'est ce qui fait que je n'avais pas encore la lettre de maman hier quand j'ai écrit la mienne.

Mes explorations dans Paris avancent peu. J'ai juste parcouru les Boulevards où j'ai dîné aujourd'hui en sortant de la Compagnie des Eaux. J'ai vu les Tuileries, la place de la Concorde, aperçu d'un peu plus près la Tour Eiffel, enfin pris le bateau pour me ramener de la Concorde à St Michel. Il faut que je repasse un peu de physique et de chimie pour le second degré.

J'ai acheté une canne ; alors c'est à toi que je dis merci, ma petite sœurette ? Merci, merci, merci !

Je vous embrasse de tout cœur en aspirant au moment de notre réunion. Mille baisers,

                               Paul.

Il est déjà 5h ½, il faut que je porte ma lettre à un bureau auxiliaire si je veux qu'elle parte.



[1] En poste à la Compagnie des Eaux à Paris et connu de Charles Bernier, père de Paul.

[2] exercices d’équitation, d’escrime et de gymnastique (assouplissements, boxe, barre fixe, sauts en longueur et en hauteur, corde lisse, course)

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