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Mémoires d'un artilleur
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17 septembre 2017

Claude Monbeig, exportation, Amérique du Sud

En plus de l'anglais, je parlais couramment l'espagnol ; j'étais donc trilingue et cette intéressante particularité n'avait pas échappé à la Direction. Aussi, lorsque la CIMSA décida de développer ses activités en Amérique Latine, je fus déchargé de toute autre responsabilité et nommé "ambassadeur itinérant", comme me le dit avec humour mon PDG.

Ma mission consistait, en m'appuyant sur le réseau international du Groupe, à rechercher les pays susceptibles d'offrir des débouchés à l'informatique spécialisée, dans le domaine des applications militaires, de l'exploitation pétrolière et des systèmes liés à la protection des personnes et des biens. J'agissais seul pour la première phase de prospection, et demandais l'appui de nos services techniques lorsque je le jugeais utile.

Je pris donc mon bâton de pèlerin et sillonnai pendant plusieurs années les cieux et les routes de l'Amérique Latine, contribuant dans la mesure de mes moyens à l'équilibre de la balance commerciale de la France.

Je me rendis rapidement compte que ma qualité d'ancien militaire permettait d'entrée de jeu de rompre la glace avec mes interlocuteurs et que dans ces pays, en plus du titre d'ingénieur, le poids des galons pouvait parfois être utile. Aussi, avec, dans chaque payes, l'accord de l'Attaché des Forces Armées, je m'attribuai donc les cinq galons nécessaires, dans la réserve : ça ne coûtait rien à personne et faisait sérieux. Je n'ai toutefois jamais osé aller jusqu'aux étoiles…

L'élément de notre "catalogue" qui suscitait le plus d'intérêt était le système d'automatisation des tirs et des liaisons de l'armée, dérivé de l'ATILA français et allégé en vue de l'exportation et je dus rafraîchir sérieusement mes connaissances en artillerie.

Des démonstrations réelles avec école à feu furent plusieurs fois nécessaires, le futur client voulant voir le système en action sur ses propres canons et chez lui, ce qui mettait en jeu, de notre part comme de la sienne, des moyens importants. J'eus ainsi, privilège rare pour un transmetteur, à commander la manœuvre d'un groupe d'artillerie blindée équipé de canons de 155 ; l'exécution reposait, heureusement, sur de vrais artilleurs.

Un jour, dans un pays aux immenses étendues, la zone de tir était fréquentée par de nombreux bovins, mêlés de quelques autruches. Le propriétaire jugea inutile de convoquer des gauchos pour les évacuer, disant que quelques coups de 105 lui tueraient au maximum une ou deux têtes de bétail, ce qui lui coûterait moins cher que les gauchos. En fait, les tirs de passèrent fort bien et il n'y eut aucune victime. Dans un autre pays, en revanche, un coup de 155 trucida une vache, améliorant ainsi l'ordinaire de la batterie !

 

Le prestige de l'Enseignement Militaire Supérieur Français rejaillissant sur ma modeste personne, j'eus dans plusieurs pays à faire des causeries à l'Ecole de Guerre, à l'Ecole d'Artillerie ou à des Etats-Majors ; elles avaient un caractère assez technique et portaient par exemple sur l'évolution des systèmes d'armes ou sur le C3I[1] dont on commençait alors à faire grand cas.

En Amérique Latine, on parle partout espagnol, sauf au Brésil où on parle portugais. Je décidai donc d'apprendre cette langue et suivis à cet effet, à 60 ans, un stage intensif de deux semaines. Ce fut dur mais le résultat fut spectaculaire : à l'issue de cette formation, je fus capable de prendre la parole en public à Brasilia et à Rio devant un parterre très étoilé et galonné ; je pus aussi, avantage appréciable, me faire comprendre des chauffeurs de taxi.

 

Le secteur pétrolier était nouveau pour moi mais nous y avions développé avec succès des systèmes dont je connaissais bien l'essentiel dans les domaines de la production (contrôles en tête de puit) et du transport (contrôle et régulation des gazoducs). Ces systèmes utilisaient surtout des micro-ordinateurs renforcés en vue de leur utilisation en conditions difficiles. J'eus donc à porter la bonne parole aussi bien au Mexique que dans la zone torride du lac de Maracaibo ou en Terre de Feu, à l'extrémité sud du continent.

 

On dit souvent des exportateurs, dans les entreprises, qu'ils ne font que "se balader". A titre d'exemple, voici le résumé d'un de mes voyages au Venezuela dont l'objet était la présentation réelle, sur le terrain, d'un système de télésurveillance des puits de pétrole à balancier.

Dimanche soir, 23h 59, départ de Roissy par le vol Air France.

Lundi : après une brève escale à Pointe-à-Pitre, arrivée à Caracas à 5h30, heure locale (11h 30 à Paris). Formalités de police, bagages, douane.

Je rejoins à pied l'aéroport national, distant de 500 mètres (avec un chariot et un porteur). Enregistrement pour le vol intérieur à destination de Maracaibo et envol à 9h.

Arrivée à Maracaibo une bonne heure après, accueilli par un de nos ingénieurs qui m'emmène avec sa voiture à Lagunillas, à une bonne cinquantaine de kilomètres, de l'autre côté du lac. Il fait déjà très chaud.

A Lagunillas, chez le prospect, une filiale de Petroleos de Venezuela, je retrouve mon équipe technique et vérifie que tout est prêt pour la démonstration de l'après-midi. Un coup de rasoir électrique, un peu d'eau fraîche sur la figure, et me voilà prêt. Déjeuner sur le pouce.

Vers 15h, début des réjouissances. Je planche pour expliquer le topo, dans une salle heureusement climatisée, puis nous allons sur le terrain faire joujou avec notre système. Pour la température, Lagunillas vaut la Death Valley, et tout le monde transpire abondamment. Le débriefing a donc lieu, vers 19h, au Cercle des Pétroliers, où nous pouvons nous rafraîchir et discuter tout en absorbant d'impressionnantes quantités ce bière et de sandwiches. On parle d'abord de technique, par principe, puis d'un peu de tout. Nous sommes en pleine campagne présidentielle et les discussions vont bon train ; je me souviens d'avoir mis tout le monde d'accord en suggérant que le meilleur candidat serait certainement Don Juan Carlos de Borbón !

On se sépare vers 23h et nous reprenons la route vers Maracaibo (heureusement que je ne conduis pas).

Mardi : arrivée vers 1 heure du matin à l'Hotel del Lago où ma chambre est retenue et payée d'avance (la confiance règne !), je peux enfin me coucher : je suis debout depuis dimanche matin, soit 48 heures exactement avec les six heures de décalage horaire. La nuit est d'ailleurs courte puisque nous repartons vers 8h du matin pour Lagunillas…

 

Je représentai également ma société dans plusieurs Congrès internationaux, fort appréciables car ma femme et moi y étions les invités officiels de l'organisme organisateur. Denise avait d'ailleurs pu m'accompagner dans plusieurs de mes pérégrinations où elle jouait fort bien son rôle. Parlant plus que correctement l'anglais et l'espagnol, elle participait aux mondanités des épouses des généraux et colonels que je devais convaincre de l'excellence de nos produits. Elle jouait encore le même rôle lorsque nous étions amenés à recevoir ces mêmes personnalités en France.

 

Ces rencontres se faisaient parfois sous haute protection car la promotion des systèmes informatisés concernant la sécurité des personnes et des biens m'amenait à fréquenter de hauts responsables des services de police, souvent issus de l'Armée, en général avec l'appui du service français chargé de la coopération internationale de police.

En effet, dès le début des années 80, nous proposions le système de production de documents d'identité infalsifiables et inviolables, que la France refuse longtemps pour des raisons idéologiques. Nous eûmes des discussions très poussées dans un pays réputé pour sa compétence en contrefaçons de tous genres dont certaines remarques, dûment mises à profit, nous permirent d'améliorer le produit qui est maintenant en service chez nous.

L'atmosphère était parfois particulière. Je pense à un colonel, chargé de l'organisation des élections dans un pays d'Amérique Centrale et dont le souci était le dénombrement et l'identification de la population indienne. L'escalier menant à son bureau était, comme son antichambre, encombré de militaires peu rassurants, en tenue impeccable et armés jusqu'aux dents. Dans un autre pays, un contrôleur général de police me reçut très aimablement tout en nettoyant son pistolet…

Autre anecdote, dans un autre pays, au demeurant accueillant et très sympathique. Ayant rendez-vous avec le chef du service des marchés de la Police Fédérale, j'arrive à l'heure prévue en compagnie du représentant local de Thomson-CSF. La secrétaire nous explique que le colonel ne va pas tarder à arriver, qu'il donne en ce moment un cours à l'Ecole de Police, et que nous pouvons l'attendre au bar du mess des officiers, où nous pourrons prendre un café. Après quelques échanges de banalités avec le jeune et fringant capitaine chargé de nous tenir compagnie, il nous demande si nous connaissons le folklore de son pays et, sur notre réponse négative, il se met au piano et nous chante plusieurs airs populaires, avec une fort jolie voix. Nous avons passé un moment très agréable mais je ne pense pas que cette méthode ait été générale dans les commissariats de ce pays !

 

La sécurité était parfois impressionnante. Ainsi, quand j'avais l'occasion de rencontrer mon frère Jacques, alors patron de Renault Argentine (1982-1983), je bénéficiais des mesures de protection qui étaient les siennes. Lorsque nous devions dîner en ville, il envoyait son chauffeur, armé, me chercher à l'hôtel et il y avait deux véhicules, le deuxième transportant les gardes du corps qui descendaient de voiture pour me "couvrir" lorsque je montais ou descendais de la voiture de tête. Ce déploiement de force impressionnait toujours les autres membres de la mission Thomson-CSF.

 

Le gouvernement français nous interdit parfois de proposer nos systèmes dans des pays aux régimes non conformes à ses idées ; nos concurrents anglais, eux, ne s'embarrassaient pas de ces scrupules et ne mélangeaient pas les genres : business is business.



[1] "Command, Control ; Communication and Intelligence" = Commandement, Contrôle, Communications et Renseignement.

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