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Mémoires d'un artilleur
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24 janvier 2011

Vaihingen

Le "camp de la mort" de Vaihingen, mai 1945.

Au cours de son avance sur la rive droite du Rhin, la 1ère Armée Française a libéré le 8 avril 1945 le camp de concentration de Vaihingen Klein Slattesbach.

Nous avons voulu le voir, comme nous avions vu Strutthof. Un dimanche matin, en compagnie d'un officier du cinquième bureau de l'E.M. de la 1ère Armée, nous sommes partis en direction de Stuttgart pour nous arrêter, après une heure d'auto, devant une immense carrière de pierres à ciel ouvert qui borde la route Carlsruhe Stuttgart, et dont l'arête nue est surmontée de grues, de bâtiments en planches, de cheminées. C'est derrière cette carrière, dans un étroit vallon, que les Allemands avaient installé ce qu'on a appelé "le camp de la mort", pour reprendre une expression il est bien vrai désuète, mais, hélas, bien vraie […]

On y pénètre par une large porte où flottent encore les lambeaux d'un drapeau de la Croix-Rouge et tout aussitôt on se trouve en contact direct avec des habitations en bois où des hommes ont subi le martyre le plus atroce qu'on puisse imaginer. Dès les premiers pas à l'intérieur de cet enfer où, hier encore, des malheureux, pauvres loques humaines, mouraient dans des conditions inimaginables, une odeur de cendres, de lysol, de latrines et de cadavres bous saisit. Instinctivement nous cherchons à gauche et à droite, dans ces allées bordées de baraques maintenant vides, dans ces allées gluantes, parmi ces caisses, ces seaux, ces casseroles, cette vaisselle, ces lits démantelés, ces couvertures puantes d'odeurs fétides qui jonchent le sol, les squelettes que les services de la Croix-Rouge n'auraient pas encore pu enlever. C'est bien de squelettes qu'il faut parler, et non pas de cadavres. La science criminelle nazie à Vaihingen, ce fut, non pas d'abattre d'un coup de revolver dans la nuque els pauvres gens que les SS tenaient entre leurs mains, mais de les avoir fait mourir à petit feu, de les avoir torturés jusqu'au moment où ils n'avaient plus aucun souffle de vie, de les avoir affamés, de les avoir affaiblis suffisamment pour que les dernières bastonnades, les dernières flagellations les fassent s'écrouler  comme des masses inertes dans les couloirs de leur prison ou sur cet escalier de ciment large de trois mètres qui mène au local des douches.

Encore une invention perfide que ce local de douches ! Une invention du diable parce qu'elle n'a jamais servi qu'à exciter l'envie de ceux que la vermine rongeait et que la fièvre dévorait. Ce local est muni de fontaines, de robinets, de lavoirs. Il y a même une baignoire et un écriteau : "Den Waschraum nicht verunreinigen" (ne pas salir la salle d'eau). La baignoire n' jamais servi.

Six cent cinquante prisonniers environ, de toutes nationalités, mais en particulier 150 Français, ont été délivrés avec l'arrivée de la 5e DB, 650 parmi lesquels les docteurs Walz, Junginger et le maire de Vaihingen (rapport n° 20/4 GM du 8 avril 1945) ont découvert 100 convalescents, 20 cas de typhus exanthématique, 80 cas de tuberculose. […]

Le camp de Vaihingen, c'était bien, comme on l'a dit, un lot de maudits. Devant ses baraques, verdâtres, longues, basses, toutes semblables, le lieutenant Clouet, qui fut un des premiers dans ce vallon tristement célèbre, m'a dit : "Quand des éléments de la 5e DB ont libéré Vaihingen, ce sont des cadavres ambulants que nous avons rencontrés, des cadavres avec des mains immenses, des yeux fiévreux au fond de leurs orbites, des cadavres dont les membres étaient couverts de plaies. Tous ne sont pas venus à notre rencontre, ils n'ont pas pu sortir de leurs grabats : ils n'ont pas trouvé la force de se traîner vers nous. Ils nous ont simplement souri; mais leurs sourires étaient des rictus. Certains qui ont essayé de se lever, de faire quelques pas, se sont tout à coup affaissés, attendant que des camarades presque aussi malheureux qu'eux viennent les relever. Là, sur cet escalier, nous avons libéré une vingtaine de jeunes gens qui se chauffaient au soleil. Vision d'épouvante car ces hommes n'avaient plus que des os recouverts d'une peau grise, écailleuse".

P. Calame

La Gazette de Lausanne, 11 mai 1945.

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