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Mémoires d'un artilleur
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15 décembre 2010

Transport de matériel

Mardi 29 août 1944. Je retourne d'un "voyage d'affaires". Lundi matin, à 9-10 heures, Bazant me dit : "Voudriez-vous aller chercher telles pièces pour les patins de chaîne de tank, dans une usine qui se trouve un peu plus loin que Kapfenberg, dans la vallée de la Mürtz ?" J'ai dit oui et je me suis occupé des papiers nécessaires à ce voyage. D'abord, une attestation de la Palten disant que je devais aller à Wartberg im Mürztal pour Kriegswichtigerwercke[1]. Je suis allé à la Mairie pour avoir mon autorisation de prendre le train mais l'employée n'a pas trouvé que c'était suffisant. Depuis quelques jours, depuis le discours de Goebbels, les Reisebescheinigung[2] ne sont données qu'au compte-goutte. Je suis retourné à la Palten, on a mis sur mon Bestätigung[3] une petite formule disant que ce voyage était certifié être absolument indispensable pour la guerre. Avec ça, la secrétaire de la Mairie m'a fait mon autorisation pour la Reichsbahn. Je retournais à l'usine quand l'alerte a sonné. Je suis rentré au camp. Mais j'y arrivais que ça sonnait la Vorentwarnung[4] puis l'Entwarnung. Je suis resté, malgré qu'il ne soit que midi, pour me changer et me préparer. Comme j'ai pensé aussi que je ne pourrais pas aller le soir à la piscine et qu'il ne fallait pas perdre l'occasion, je suis allé me baigner. J'étais à peu près seul, j'ai fait quelques plongeons de quatre mètres de haut, dont un relativement à plat, et j'ai un peu nagé, puis ensuite un court bain de soleil et rentré au camp pour 1h ¼. Après avoir pris toutes mes petites affaires, je suis allé à l'usine. Bazant m'a remis une lettre pour M. l'Ingénieur Diable (Teufel de son vrai nom) et à 3h ½, je prenais place, serré comme un anchois, dans le wagon de 2e classe. Il m'avait naturellement fallu présenter au guichet l'autorisation de voyager, puisque je faisais plus de 100 kilomètres. Je suis resté debout, au chaud et serré, jusqu'à Brück, où j'ai trouvé une confortable pace assise dans le Graz-Vienne. J'ai tout de suite cassé la croute (6h ½). Wartberg est le sixième arrêt après Brück (Kapfenberg, Kapfenberg-nord = usine Böhler, St Marein, une autre gare, Kindberg et Wartberg). Je suis arrivé là vers 7h ½; il n'y a que cette usine dans le village, et juste en face de la gare. Je me suis adressé au Werkshutz[5], en lui disant que je venais de Rottenmann pour chercher du matériel. Il était au courant car Bazant avait téléphoné au Teufel dans l'après-midi, disant aussi qu'on me retienne une chambre en ville. Normalement, il fallait que je fasse le plus rapidement possible, c'est-à-dire reprendre le train à 3h 9 du matin pour être à 8h à Rottenmann. Le Werkshutz m'a mené à l'habitation de l'Oberingenieur, qui m'a dit qu'on n'avait encore rien préparé et que ça ne pouvait pas être prêt pour 3h du matin, que je n'avais qu'à partir à 10h ½, ce qui m'amènerait à 2h ½ à Rottenmann. Je devais aller à l'usine entre 7h et 7h ½ pour voir si ça se préparait bien. Le Werschutz m'a ensuite mené là où je devais passer la nuit, une splendide maison particulière appartenant certainement à des gens très riches. On m'a fait voir une grande chambre où je dormirais et on m'a donné la clé de la porte d'entrée de la maison. Sur ce, je suis descendu en ville à la recherche d'un Gasthaus pour dîner car le casse-croûte de la cantine était loin, bien entendu. Chemin faisant, j'ai rencontré un Niçois avec qui je suis allé dîner, de pas grand' chose, d'ailleurs, mais j'ai quand même mangé. On s'est ensuite promené en causant de Wartberg et de Nice. Je l'ai quitté à 9h ½ pour rentrer à mon logis. J'arrive au portail de la villa, que je trouve fermé. J'ai essayé de trouver une autre petite porte, et j'en ai heureusement trouvé une, mais je n'avais pas fait cinq pas que je réveille deux gros chiens qui se mettent à aboyer tant et plus. Heureusement, ils n'étaient pas méchants, mais ils n'étaient pas attachés. Finalement, je me suis décidé à avancer vers la villa. Je tourne la clé dans la serrure, mais pas moyen d'ouvrir la porte. Je sonne à plusieurs reprises, rien, je ré-essaye ma clé, elle tourne mais la porte ne s'ouvre pas, et les chiens jappaient toujours. Finalement, la patronne de la maison se réveille et vient m'ouvrir, de mauvaise grâce, d'ailleurs, et me demande si je veux frühstücker[6] demain matin. Bien sûr, que je dis, ne comptant pas sur une telle aubaine. Et je me suis vite couché dans un beau lit, avec de beaux draps bien blancs, un lit bien moelleux, avec toutes les commodités, lampe de chevet; etc. Je n'ai pas trop bien dormi quand même parce que d'une part, quand on change de lit, on dort moins bien, d'autre part, le lit n'avait qu'une petite couverture et un édredon : la couverture ne tenait pas assez chaud et l'édredon me faisait transpirer. Enfin, à 6h ½, je me suis levé; à 7h -10, on m'a appelé pour me dire que le café au lait était prêt. Je suis descendu dans une fort belle salle à manger, toute ornée, comme le vestibule, de cornes de chamois et de bois de cerfs, et j'ai mangé un bon café au lait et des tartines à la confiture. A 7h et quelques, je me présentais à l'entrée de l'usine Vogel et Noote, on me faisait un laissez-passer pour aller voir M. Teufel. Je l'ai attendu un quart d'heure pendant que le Werkshutz le cherchait dans l'usine. Il est revenu en me disant d'aller me promener jusqu'à 9h ou 9h ½, ce que j'ai fait; je suis allé sur la route en flânant et à 9h, j'étais  de nouveau à l'entrée de l'usine. Là, le type qui s'occupe des expéditions m'a accosté pour me dire qu'il avait fait le nécessaire à la gare, que les colis allaient partir, que j'aille les repérer. En attendant, j'allai avec lui au bureau où il m'a fait un bulletin de livraison pour trois caisses pesant au total 140 kg. J'ai cherché ensuite mes caisses à la gare, j'ai cherché et demandé partout, aucun employé n'avait vu quoi que ce soit. Vers 10h -1/4, je revois mon employé. On va chercher les caisses. Elles étaient dans un coin, au magasin, sans étiquettes. J'ai fait les étiquettes, les ai fait coller, on a attendu le cheval pour porter ça à la gare; à 10h ¼, pour partir à 10h ½, il commençait à être temps. Je suis allé là-bas surtout pour ramener ces pièces à bon port, parce que ça n'arrive pas vite par les trains. Ça ne serait d'ailleurs pas arrivé aujourd'hui si je ne m'en étais pas occupé, comme vous le verrez, déjà que ça risquait de ne pas partir de Wartberg. Je me suis bien installé en 2e classe jusqu'à Brück, où on est arrivé vers midi et quart. Je suis descendu du train, suis allé au fourgon dire à l'employé que les colis devaient changer de train et qu'il les fasse descendre. Comme il n'y avait pas de charriot ni de type pour les transporter, je suis allé voir si j'en trouvais, je me suis adressé à un postier qui m'a dit, bien entendu, que ça ne le regardait pas. J'ai demandé à deux autres, qui m'ont fait la même réponse. Comme c'était plus de midi, j'ai essayé d'avoir une saucisse et deux petits pains mais il y avait trop de monde. Je suis retourné au fourgon, et on y embarquait des colis pour Graz. Heureusement, on laissait le charriot là. Puis j'aperçois le chef de gare, avec sa casquette rouge et son disque blanc, qui se dirigeait vers le train que je devais prendre. Je lui demande quand il part. "Mais tout de suite", me répond-il. Je lui dis qu'il y a trois caisses urgentes pour Rottenmann dans le train qui va partir à Graz, et qu'il faut qu'il les fasse transporter. "Trop tard", me dit-il, "vous prendrez un autre train ce soir." Je lui dis d'attendre, je me précipite au fourgon, je décharge mes trois caisses sur le charriot et je les amène en grande vitesse au fourgon de mon train, direction Klagenfurt. Le chef de gare était là. J'ai voulu charger mes colis dans le fourgon mais l'employé demande où sont les feuilles de route de ces caisses. Bien entendu, je ne les avais pas. Je n'avais pas le temps de retourner au train de Graz, car le chef de gare regardait sa montre avec impatience. Finalement, il a dit d'embarquer les caisses sans papiers et je suis allé m'asseoir dans mon compartiment pour me reposer de mes fatigues et émotions; A St Michaël, changement de train, il fallait que j'aille voir si mes caisses allaient bien à Selzthal. Une fois que je m'en fus assuré, je suis allé à la buvette où j'ai pris quatre tartines au fromage à l'ail, que j'ai ingurgitées péniblement à sec. Et on arrive à Rottenmann. A la première gare, je trouve Martinet qui chargeait son camion, qui m'a demandé si j'avais fait bon voyage, m'a donné des nouvelles de Giorgini qui travaille à Liezen depuis hier et m'a dit que nous devions déménager notre piaule avant ce soir 8h. En gare de Stadt Rottenmann, à 2h ½, on a bien descendu mes trois caisses. Je suis aussitôt allé voir Bazant pour lui dire que je lui rapportais, non sans peine, ses bagages; je lui ai raconté mon voyage et suis parti déjeuner à la cantine.


[1] Travail militaire important.

[2] Autorisation de voyage.

[3] Certificat.

[4] Présomption de fin d'alerte.

[5] Chef de sécurité.

[6] Prendre le petit déjeuner.

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