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Mémoires d'un artilleur
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1 février 2010

Libération de Nice -8

Mercredi 30 août. Il y a eu encore quelques rares coups de feu et quelques grenades au début de la nuit. Puis ça a été d'un calme parfait. Beaucoup de Niçois n'avaient pas dormi tranquilles depuis longtemps.

Je suis passé rue Foncet, hier soir, où j'ai été reçu dans l'appartement Mounot où Marcel, et Riquet maintenant, font popote commune. Ils n'ont pas encore de nouvelles des derniers jours à Levens, où ça a chauffé ferme. Les Allemands y sont revenus en force, ont tiré du grand pré sur le village avec un petit canon de 37. Il y a plusieurs obus chez les Mounot. Puis ils ont rassemblé la population sur la place et obligé les hommes à coucher dans l'église. Ils devaient faire des représailles mais heureusement l'officier qui commandait était assez âgé et pas trop mauvais. Comme tous les F.F.I. étaient partis et que le village était calme, il s'est contenté d'occuper. Marcel était monté à vélo un matin de bonne heure, pour rester là-haut; mais quand il a su ce qui se passait, il est reparti aussitôt, emmenant son fils sur la moto. Depuis, il paraît que les Allemands, avant de partir, ont pillé les maisons; celle des Duplay n'a pas dû échapper. Le fils Mounot devait monter aux nouvelles ce matin. Ainsi Chargnat n'aura pas été un refuge de tout repos. J'espère que Chargnat aura été plus tranquille.

Ce matin, vu passer quelques camions transportant des Américains. Comme hier, beaucoup d'autos, camionnettes, avec des F.F.I. armés, drapeaux au vent. On a bien su retrouver – gaspiller – de l'essence !

Vu Décourt, l'air toujours sinistre et voyant les choses en noir : la révolution, les massacres, la lutte des partis, les haines contre les personnes, il n'a que ça à la bouche, et au fond il en a la trouille. Drôle de corps, et manque d'équilibre. Il est désigné comme membre de la délégation municipale devant être chargé des travaux mais il se demande encore s'il doit accepter et ne pense qu'aux personnes à écarter, sinon à supprimer !

La CGT et le parti communiste cherchent naturellement à prendre position et à tirer parti de la situation. Un petit groupe d'hommes et de femmes a défilé hier place Masséna avec un drapeau rouge et un drapeau tricolore. Il y a eu des réunions à la Bourse du Travail et les délégués du personnel me préviennent ce matin qu'on ne doit pas travailler, sauf pour les urgences des services publics, et m'apportent un papier de l'Union Départementale des Syndicats Ouvriers des Alpes Maritimes. Adieu la Charte du Travail et l'effort constructif du Maréchal ! On recommence à pousser les ouvriers à "revendiquer". Le plus sûr, c'est que cela va faire encore une journée de fichue !

A la Mairie, où je vais pour réclamer la réponse qu'on m'avait promise le 24 et que Kirchner n'avait pas encore fait partir, j'apprends que cet ordre de l'U.D. est contraire aux instructions officielles transmises par al Préfecture disant que tous les services publics doivent fonctionner normalement. Il y a un certain Commandant Chasuble qui a été désigné et a son PC à l'Atlantic. J'ai attendu pour remporter ma lettre, non signée et antidatée, que je ferai signer moi-même à Vidal-Revel, qui n'est plus rien maintenant.

Aperçu enfin trois blindés américains. Des F.F.I. arrêtent des tas de gens qu'on amène au Lycée sous les huées de la foule amassée. On a aussi vidé le mobilier de fascistes par les fenêtres. Il y a pas mal de pagaille et beaucoup trop de gens armés qui circulent et agissent sans chefs. Bien des vengeances personnelles ont dû s'exercer. Ce Commandant Chasuble doit être chargé de cela mais comme il n'y a pas de journaux, qu'il n'y a pas eu de proclamation ni d'affiches, que seul un vague haut-parleur a circulé dans certaines rues, on est en pleine agitation, sinon désordre. Et déjà, des rivalités se dressent entre les partis F.F.I. et F.T.P.; des noms sont discutés et exécrés; on dit qu'on a abattu sans jugement des individus arrêtés et internés au Lycée.

A 17 heures, le haut-parleur annonce l'arrivée des Américains place Masséna pour 17h 30 et convoque la foule. J'y vais. Du monde, mais bien loin de la cohue des grands jours (fête de Jeanne d'Arc de 1941) et même d'un carnaval. Acclamations, mais pas déchaînées. D'ailleurs une centaine de voitures, uniquement de matériel et de transport. Pas de blindés, pas de canons, pas de tanks, rien de bien emballant. N'empêche, "ils" sont là ! Et la radio anglaise d'aujourd'hui qui fait encore silence; pourquoi ? Elle dit : "nous consolidons nos positions à l'ouest du Var". Hier, elle parlait seulement de Cagnes et Vence, où il n'y a eu aucun combat, alors qu'ils étaient au Var, que des éléments avancés avaient déjà traversé. Quel est ce mystère ? Ils ne veulent pas avouer que Nice s'est libérée toute seule ? Il paraît qu'on leur a forcé la main en quelque sorte, et que l'avance sur Nice n'était pas dans leur programme pour tout de suite. Ils ont eu bien tort, car avec un peu plus de hâte et d'habileté militaire, il leur suffisait d'avancer et de couper les routes (ce qui était si facile pour la Marine sur les trois corniches) et ils faisaient plusieurs milliers de prisonniers.

Vers 18h 30, ça dégénère en carnaval : des camions passent avec des F.F.I. et un ou deux soldats américains, des femmes et des drapeaux, en braillant et vidant des bouteilles de bière. Il y a encore des cris et des chants (si l'on peut dire !) et du mouvement au début de la nuit; après c'est calme.

Jeudi 31 août. La radio anglaise, ou française, hier soir, persiste à nous ignorer et répète sa phrase : "nous consolidons nos positions à l'ouest du Var" ! Mais qui songe à les ébranler ? ? Seul Radio Juan-les Pins, devenue Radio Nice-Cannes-Antibes-Libération, annonce vers 17h que Nice est libérée et que les Alliés y sont arrivés le matin (30 août)à, alors que les Boches ont effectivement et totalement fui dans la soirée et la nuit du 28 au 29. Pourquoi diable nous vole-t-on le bénéfice et le mérite d'avoir nous-mêmes chassé les Boches, sans aucune aide militaire française ou alliée ?

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