Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoires d'un artilleur
Archives
Newsletter
28 janvier 2010

Libération de Nice -7

Mardi 29 août. On a bien dormi quand même, malgré diverses explosions. Mais au réveil, vers 6h 1/2, pas d'électricité, pas de gaz, pas d'eau. J'ai été un moment inquiet et je me suis hâté pour aller à la Compagnie. Mais heureusement, l'eau, c'était Grand' mère qui l'avait fermée le soir ! Pression normale, donc rassuré de ce côté-là. Le gaz n'était pas encore venu, on a fait chauffer la soupe à l'alcool, mais après il est venu, très peu de temps d'ailleurs. Il n'y a que l'électricité qui est bien coupée. J'étais au bureau à 7h 1/4. Personne ne sait encore rien de sûr et les gens ne montrent le nez dans les rues que timidement. A la Compagnie, je trouve l'équipe des F.F.I., dont Dalbera, mitraillette à la main. Ils ont attaqué hier le fortin de C. et fait un prisonnier de 18 ans, qui est dans la cuve ! Nombreuses traces de balles et d'obus sur toutes les maisons, notamment rue de l'Escarène, deux ou trois sur l'immeuble de la Compagnie. Ça a chauffé dur rue Gioffredo, place Defly et sur le Paillon. Je vais jusqu'au port voir les dégâts. Place Garibaldi, on ramasse dans une ambulance deux boches tués . Au port, toutes les vitres sont brisées, les volets arrachés, les obturations de fenêtres en brique défoncées vers l'extérieur par le souffle. Il y a deux bateaux coulés, les mats défoncés, le quai Infernet simplement infléchi par endroits. C'est tout ce qu'on peut voir. En revenant, le haut-parleur annonce que c'est encore l'état de siège, qu'il faut rester chez soi. On parle de colonnes boches qui arrivent... et on referme les volets. Mais c'est de la blague ! Les gens commencent à sortir quand même. L'excitation monte, on attend les nouvelles de la délivrance ! 8h 45. Enfin ça se confirme ! Des agents à bicyclette annoncent que les Allemands sont bien partis et que les F.F.I. tiennent la Préfecture et la Mairie. Puis on dit qu'on a vu deux officiers américains à la Mairie. Des groupes de F.F.I. armés circulent; on sort des brassards et on va sortir les drapeaux. La Compagnie est une des premières à pavoiser. En moins d'une heure, tout est pavoisé, on parle haut, on rit, on applaudit les F.F.I.. Quant aux Américains, ils ne sont pas encore là, ils doivent prendre le breakfast ! Je rentre avenue Désambrois embrasser Grand' mère, mettre des drapeaux, puis chez moi pour pavoiser aussi. On est soulagé mais pas encore librement joyeux. Naturellement personne ne travaille, la journée sera forcément chômée. Le téléphone est rétabli avec la Préfecture. A 10h, Sattegna me téléphone, m'annonçant qu'il est nommé secrétaire de la Préfecture et demandant si le service va bien. Je le félicite et le rassure. Peu après, je vois Décourt, escorté de sa femme qui ne le quitte pas depuis deux jours. Il paraît qu'il fait partie du nouveau Conseil Municipal mais il semble bien dégonflé et sa femme est là pour le rassurer ! Il y a quelques dégâts aux conduites vers le port, mais peu de chose. Rencontré Kirchner, qui confirme les nouvelles mais m'apprend que son fils Bernard a été blessé hier au début de la matinée par une balle, boulevard Gambetta, qui l'a atteint à la face; on craint qu'il ait l'œil perdu et il a bien failli être tué. Passé à midi par la place Masséna. Nice est déjà bien pavoisé mais il y a relativement peu de monde. Un vague service d'ordre F.F.I.; de temps en temps, une auto débouche de la rue de France, avec des policiers et des gens en kaki, F.F.I. ou Américains ? Tout cela crie, gesticule et est acclamé. On tire des coups de revolver et de fusil en l'air en signe de joie. Je vois un officier français de tirailleurs dans une auto. On est content ! D'ailleurs aucun tir : on craignait des représailles et des tirs des forts de la crête, encore aux mains des Allemands. Je remonte la rue. Toutes les femmes ont arboré rubans, brassards ou nœuds tricolores. On s'interpelle, on échange des tuyaux sur la venue des Américains, qui ne sont toujours pas là. On a brisé les vitrines des bureaux de la Légion à côté du Petit Niçois, et en face de chez Brisset. On a sorti tous les ballots de tracts auxquels on a mis le feu. Des autos et camions pleins de F.F.I. circulent en chantant et sont acclamés. De grands drapeaux tricolores, avec ou sans croix de Lorraine, flottent au vent. Quelle revanche du 25 juin 1940 et du 11 septembre 1942 ! Comme on voudrait être près des siens et pouvoir échanger des paroles en ces heures décisives ! Quand sauront-ils ? Quand pourra-t-on se revoir et se raconter tout cela, mais à froid, tandis que l'émotion de ces moments inoubliables serait si bonne à partager ? Cette libération est pour nous marquée d'une façon intense, après la bataille violente d'hier, et cela laissera un souvenir ineffaçable dans l'âme des jeunes, qui sont la France de demain. Tandis qu'à Chargnat, je pense que tout sera passé inaperçu, la vie restant sans changements d'un jour sur l'autre, sans même qu'on sache exactement depuis quand la détestable emprise boche aura pris fin, ici, le ton monte d'heure en heure, ça vibre ! Quand les troupes arriveront, ça va être du délire ! Après déjeuner, j'ai pris mon vélo pour une tournée. Je suis allé d'abord à l'Orangerie, vérifier qu'il n'y avait pas de dégâts. Il n'y avait personne et je n'avais pas pris les clés. Ce n'est pas sans plaisir que j'ai franchi les barrages boches, déjà démantelés avec joie par les riverains. Puis je suis allé Promenade des Anglais, que j'ai "reconquise". Il n'y avait encore à peu près personne; j'ai pris des photos. Que de travail pour nettoyer et réparer tout cela ! Notre conduite a sauté sur une grande longueur vers le Lido, où une batterie a sauté, soit par tir de l'escadre, soit par destruction. Pas pu passer à l'hôtel Guison et Rauba-Capène. Récolté des bandes de mitrailleuses dans le jardin Albert Ier. (voir photo). Pas de nouvelles par radio faute d'électricité qui manque toujours. ON casse les vitrines des commerçants fascistes, ils ne l'ont pas volé. Je pense que ceux qui ont arboré la chemise noire et aidé les Allemands ces derniers temps pour la police et l'occupation des postes doivent avoir filé avec eux ou se faire petits ! A 17h, toujours pas de troupes. Cependant on a vu deux ou trois soldats américains équipés, entourés, l'air fatigué et abreuvés par la population. Il paraît que le Préfet s'est montré au balcon de la Préfecture (c'est l'ancien préfet de Haute-Savoie), il a fait un discours de grands clichés républicains. Après lui, l'abbé Daumas a pris la parole. A 18h, place Masséna, il y avait beaucoup de gens installés pour attendre les Américains. Mais on fait courir le bruit qu'il y a encore des Allemands à Saint Sylvestre; des voitures de F.F.I. remontent l'avenue. Le service de garde fait évacuer la place Masséna et conseille aux gens de rentrer chez eux. Après avoir tout cassé dans les centres de propagande, des organisations gaullistes ou F.F.I. déblaient et s'installent à la même place. On dit que les Américains ont du mal à passer le Var à cause des mines, qu'ils sont fatigués, qu'ils cantonneront à Carros et ne défileront pas.

Publicité
Publicité
Commentaires
Mémoires d'un artilleur
Publicité
Derniers commentaires
Publicité