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Mémoires d'un artilleur
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10 juin 2010

STO : le rationnement en Allemagne

Dimanche 28 novembre 1943. Bien chers parents, vous avez peut-être été alarmés outre-mesure par ma carte de jeudi dernier sur la pénurie du ravitaillement de la cantine. Mais pour moi qui n'ai pas un appétit colossal, ça va bien. Je vous ai dit que l'ingénieur Grainer ne nous avait rien accordé, mais il a dû tout de même en parler à la cantine et la situation s'est légèrement améliorée. De plus Varriot, l'homme de confiance du camp, est à Graz aujourd'hui et doit rouspéter, dans la mesure où il osera. On a demandé à Grainer où passaient toutes nos rations, car il nous est manifeste que nous ne touchons pas tout ce qui se trouve sur les cartes civiles[1]. Naturellement, il y avait deux points importants, le pain, et les patates, qu'on ne voyait plus depuis une bonne semaine, ou du moins qui s'étaient raréfiées d'une manière extraordinaire (Joubert jour de la trompette à un mètre de moi, je ne sais pas si ce que je vais vous écrire va avoir beaucoup de suite. Pour la question pain, sur les quelques 330g journaliers que comporte environ la carte civile (noir + blanc), nous touchons 150g le matin, souvent (presque tous les jours depuis) un petit pain à un repas, 50g. Alors à côté de ça, il y a les gâteaux, au moins une fois par semaine, les boulettes, les "frites" (sortes de galettes frites) qui reviennent une fois par semaine environ, 3 boulettes ou 3 galettes frites, et puis… le reste de la farine va dans les sauces, qui pourtant ne sont guère épaisses. Quant aux patates, nous touchons théoriquement 5 kilos par type et par semaine, mais il y a les épluchures à enlever, les pommes de terre abimées et le vol. On a tout le reste ! ! Mais je suis bien sûr que la semaine qui a précédé notre réclamation, nous n'en avons pas mangé 500 grammes.

Pour la viande, il y a beaucoup de difficultés, ça ne vient pas comme on veut. Pour la confiture, on en a dans les boulettes, avec le gâteau (c'est à peine du sirop tellement elle est diluée), avec le casse-croûte du dimanche une fois sur deux. Pour le sucre, j'estime qu'on nous supprime à peu près complètement la ration. Dans le café du matin, il n'y en a pas nombreux kilos pour tout le camp. Mais Grainer a dit qu'on avait quand même notre ration avec ce qu'on nous met sur le gâteau et les boulettes. Je ne sais pas au juste quelles sont les rations civiles mais je sais qu'il y a 900g de sucre, plus la confiture ou du sucre (sans doute 400g). Si l'on voit 400g de confiture et sucre dans tout notre mois, c'est bien tout. D'où manquent 900g. Pour les matières grasses, on n'a guère à se plaindre. Sur les 900g qui composent, je crois, la ration, on doit bien en manger au moins 500g. Pour le pain, on doit être volé en moyenne de 100g par jour, surtout du pain blanc. A côté de ça, il y a pas mal de choses qu'on ne voit évidemment guère souvent.

Ce qu'on a aussi demandé à Grainer, c'est pourquoi, dans tous les autres camps, ils touchent leurs rations à peu près complètes. Alors il a un peu esquivé la question et répondu sur chaque cas particulier. A Liezen, par exemple, ils ont leur ration de pain tous les matins avec confiture ou beurre, pain tantôt blanc, tantôt noir, et tout le reste comme nous. Enfin c'est comme ça, on ne peut guère y faire grand' chose. Heureusement nous avons la carte de semaine de travailleur de force, et puis on est amené quand même à acheter au marché noir du pain, qu'on trouve maintenant un peu moins facilement, mais contre des cigarettes, on s'en tire. C'est pour les fumeurs, qui n'ont déjà pas assez de leur ration de tabac et qui en achètent au prix fort, que la vie est assez dure. Bien des types de la piaule sont sans le sou quelques jours après la paye. Assez nombreux sont les types qui n'ont rien envoyé en France. A côté de ça, évidemment  il y a des trafiquants de marché noir qui font pas mal de bénéfices, allant acheter des tickets là où on les vend bon marché et venant les revendre à Rottenmann. C'est effrayant, quand on y pense, de payer un kilo de pain noir 120F (25,45€), de blanc 240F (51€), une cigarette de 10 à 20F (2 à 4€), et même plus à Vienne, me disait Maurice Perrin, selon la marque. Moi qui ne fume pas, j'échange mes rations de tabac. On touche depuis quelque temps, à deux types à la fois par décade, un paquet de tabac de Bohême coupé  très gros (2 ou 3 millimètres de large), qui peut à peine aller pour la pipe, un paquet de 50g, et 10 cigarettes, des Zora (du foin,) mais qui sont grosses à peine plus que la moitié d'une Gauloise. Alors une décade j'ai le paquet de tabac, une décade les 10 cigarettes, pour éviter de partager le paquet. Contre ce paquet de tabac, j'aurai mardi une carte de semaine, c'est-à-dire 1400g de pain, 100g de margarine et 350g de viande. C'est encore une bonne affaire que je fais là.

Au point de vue de la cantine, maintenant, je vous disais que ça s'était légèrement amélioré. On voit des pommes de terre maintenant un peu tous les jours. Grainer nous a dit qu'il avait commandé des rutabagas, topinambours et raves pour cet hiver mais que le manque de wagons empêche les commandes d'arriver. Les raves sont très fortes, ici, et si elles sont peu cuites, elles sont absolument immangeables. Espérons que le ravitaillement s'améliorera et que tout rentrera bientôt dans la normale.


[1] La ration calorique habituelle, selon les cartes de rationnement, était, en 1943, de 3500 calories environ en Allemagne, 1500 en France. La ration moyenne normale pour un adulte est de 2500 calories environ.

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