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Mémoires d'un artilleur
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30 avril 2017

Evasion de France. Claude, 1943.

Après avoir été grenobloise, versaillaise, madrilène, parisienne et francilienne, la famille Robert Monbeig habitait Tarbes depuis septembre/octobre 1940. C'était l'une des conséquences des bouleversements de l'époque. Papa appartenait à l'Electro-céramique, filiale de la Compagnie Générale d'Electricité, et c'est assez logiquement qu'après sa démobilisation en juillet 1940, il rejoignit l'usine de sa Société, située à Bazet[1], à quelques kilomètres au nord de Tarbes. La cellule familiale se composait alors des parents et des trois garçons : Claude (17 ans), Michel (11 ans) et Jean (9 ans) ; elle devait s'accroitre d'une unité en juillet 1943 avec l'arrivée de Jacques.

C'était le deuxième séjour de la famille dans le chef-lieu des Hautes Pyrénées. Le premier avait eu lieu d'octobre 1937 à avril 1938, ce qui m'avait valu de faire les deux premiers trimestres de ma classe de seconde au Lycée de Tarbes et le troisième au Lycée Michelet, à Vanves. Ce n'était là pour moi qu'un épisode d'une vie scolaire et universitaire assez bahutée, reflet des migrations imposées à notre famille par les circonstances[2].

Je retrouvai Tarbes avec un certain plaisir car je m'y étais fait de très bons camarades chez les Eclaireurs de France[3] dont le chef local, Jean Védère (Isard Bigourdan) alignait 29 étoiles d'ancienneté car son entrée en scoutisme remontait à la création de la première troupe EDF[4], en 1911 ! C'était un animateur passionné et c'est sous sa houlette que, nommé Chef de Troupe, je fis en moins d'un an passer l'effectif de 3 à 8 patrouilles. Je participais aussi, quand je pouvais, à des sorties en montagne avec le Clan Routier[5] ; j'y pris goût et poursuivis cet entrainement qui fit de moi un pyrénéiste acceptable : cela devait m'être bien utile plus tard.

La famille Monbeig ayant de la suite dans les idées, et dans les jambes, le piolet dont je fis l'acquisition en 1941 appartient maintenant à mon neveu Renaud, fils de Jean, qui lui a fait "faire" le Mont Blanc. 

Jusqu'à l'occupation de la zone Sud par les Allemands en novembre 1942, Tarbes possédait encore une garnison assez importante, et notamment l'Ecole de Cavalerie de Saumur[6]. Papa, qui avait fait en 1940 une brillante campagne comme capitaine du Génie (plusieurs citations en six semaines !) était resté très lié avec le milieu militaire et les propos que j'entendais à la maison étaient toujours résolument anti-allemands ; j'étais bien "conditionné".

A la fin de l'année scolaire 1942-43, je me trouvai dans l'obligation de rejoindre les Chantiers de Jeunesse[7], car je ne pouvais plus être sursitaire. Cette perspective ne m'enchantait nullement, d'autant que le bruit courait avec insistance que la classe 1943 (la mienne) serait prochainement requise et envoyée en Allemagne[8] ; cette seule idée me hérissait : pas question de se laisser embarquer chez l'ennemi, dont je venais avec rage de voir les drapeaux flotter sur Paris ! J'appartenais d'ailleurs depuis avril, à Toulouse, à un mouvement de résistance étudiant qui avait recruté dans les classes préparatoires aux Grandes Ecoles, et dont je devais retrouver plusieurs membres à Alger[9].

Dès le mois de juillet 1943, après mon échec à l'Agro, je fis donc part de mes intentions à Papa. Il approuva ma décision mais ne voulait pas entendre parler de "prendre le maquis", sa solide formation d'officier d'active lui faisant manifestement considérer cette formule avec beaucoup de réticence. Je pense que ses activités clandestines (que j'ignorais[10]) l'amenaient à en savoir suffisamment sur ce sujet pour qu'il se refusât à laisser son fils s'engager dans cette voie. La suite des événements dans le Sud-Ouest prouva qu'il avait raison : les maquis y firent certes preuve d'héroïsme mais au prix de trop lourdes pertes[11].

Papa me mit donc le marché en main : "d'accord pour ne pas aller aux Chantiers, mais alors c'est l'Armée d'Afrique et je me charge de te faire partir par une filière Deuxième Bureau".

C'est évidemment grâce aux liens qu'il avait conservés avec le milieu militaire, devenu clandestin, que Papa put me faire partir par cette filière, relativement sélective.

J'acceptai sans hésiter. En attendant et pour ne pas me laisser dans l'oisiveté, Papa me fit travailler comme stagiaire au bureau de dessin de l'usine de Bazet ; cela me fut très profitable et dura tant que j'eus une existence "légale", c'est-à-dire tant que je n'étais pas censé avoir déféré à la convocation des autorités vichyssoises.

Cette convocation était pour le 24 août et je vais narrer ce qu'il advint après cette date fatidique. Je m'appuierai dans ce récit sur mon journal de bord, rédigé à chaud à Madrid en octobre 1943[12], et sur les carnets de mon camarade d'évasion Henri Lelong, que j'ai pu consulter lors d'une visite à sa mère en février 1992 ; pour les souvenirs concernant le Maroc, l'Algérie, l'Italie et l'Alsace, j'ai fait appel à ma mémoire et à des lettres conservées par ma famille[13].

J'ai toutefois transcrit en langage "usuel" ce que j'avais rédigé en termes estudiantins, mais je n'ai rien changé aux appréciations parfois… abruptes… que j'y portais à l'époque. Le sapeur radio de vingt ans n'avait (heureusement !) pas encore acquis la saine philosophie du chef de bataillon breveté honoraire qui se replonge, cinquante ans après, dans les souvenirs d'un modeste artisan du succès des armes de la France.

 



[1] Voir Annexe 1

[2] Papi, qui travaillait pour la CGE à Madrid, avait dû rapatrier sa famille d'abord, lui ensuite, au moment de la Guerre d'Espagne.

[3] Mouvement scout laïque créé en 1911.

[4] Eclaireurs de France. Le mouvement s'est appelé EEDF (Eclaireurs et Eclaireuses de France) en 1964.

[5] Scoutisme traditionnel.

[6] Voir Saumur

[7] Voir Chantiers

[8] Le bruit faisait plus que courir puisque la classe 1942 partit en juillet 1943.

[9] Le réseau Maurice. Voir annexe 2.

[10] Et que nous ignorons toujours…

[12] Pas retrouvé

[13] Pas retrouvées non plus…

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