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Mémoires d'un artilleur
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14 février 2015

Paul Bernier à Polytechnique, journal, novembre 1912

31 oct. Le conscrit Rimailho fait une grave chute de cheval, transporté à l'infi puis au Val de Grâce. 

Vendredi 1er nov. Rimailho est mort. Il a subi la trépanation hier soir et le décès est survenu ce matin. Le mandant Bourguignon est venu nous annoncer la triste nouvelle en salle vers 98h ce matin ; par suite des vacances, il n'y avait ni maj ni caissiers à l'X. On est allé à leur recherche ; je suis allé chez Mestraud pour lui faire parvenir un télégramme mais il était chez lui. On organise un service de garde autour du corps à l'hôpital. Quel désespoir pour une famille ! La boîte Carva, déjà vide et moins gaie par suite des départs de vacances, est triste et silencieuse. 

Congé de la Toussaint. Pour ceux qui sont restés à l'X, la mort de Rimailho a été la principale préoccupation. Il a été constitué une garde permanente de deux camarades en grande tenue, l'épée à la main, se relayant d'heure en heure. Il y a eu quelques défaillances, des conscrits se sont trouvés mal ; à la fin, dimanche soir, on a réduit la faction à une ½ heure, les cocons étant revenus en nombre suffisant à la rentrée.

Lundi 4 nov. Les obsèques ont eu lieu à midi. Boulot à 10h45 ; la 4e compagnie rendant les honneurs, les autres en grande tenue assistaient. Service à la chapelle du Val de Grâce, beaucoup de monde, écoulement difficile et long. Cortège jusqu'au Père Lachaise ; laïus de la Grasse et du Géné. 

Mardi 5 à dim. 10. Les 2 promos portent le crêpe à l'épée ; interdiction des théâtres et terrasses de café. A l'inté, la vie a repris le calme et l'ordre usuels. On suit avec intérêt les nouvelles de la guerre et on s'est occupé aussi pas mal d'aéronautique à cause du Salon.

Lundi 11 nov. Présentation du Drapal. La cérémonie a été avancée cette année car on attend pour un jour de cette semaine la visite de Millerand[1]. La cérémonie fut réussie ! Suite de couvertures en tous genres. Pendant le rassemblement, un bon coup de vent, précurseur d'un jodot, décoiffe Cattin dont le phécy avec son beau plumet se met à rouler, rouler… Cattin le rattrape non sans peine et d'un beau geste d'ensemble, tous les pitaines enfoncent leur képi sur leur chef. Plus tard, le claque d'un consqouère s'envole, à l'instar d'un aéro, avec une légèreté dont on ne l'aurait pas cru capable ; il y a peut-être quelque chose à découvrir dans ce genre !

La 1ère Compagnie va au Boncou chercher le Drapal. Visiblement ému, pitaine Pesseaud se couvre honteusement en recevant le drapeau sans tambour ni trompettes (c'est le cas de le dire) avec une compagnie au repos de l'épée (pourquoi pas au repos complet ?). C'est pas fort pour un pitraine d'arti ! On revient au Pavillon où Pesseaud place sa compa par u  superbe mouvement de "en bataille par section face en avant" ; pagaille assez réussie (pour la 3e section surtout !). La cérémonie proprement dite a été promptement menée : c'est juste le jour du mariage de la nièce du géné : l'auto fleurie attendait sous pression au Boncou. Revue rapide, laïus non moins rapide et d'ailleurs ouï par personne. On entend Pignet murmurer à Ducla : "Pourvu qu'on soit à 11h ½ à la sacristie…" Le géné se retire rapido. Bunoust[2] a failli commander "Reposez…", étant en "Présentez épée !". Il se reprend à temps ! La 1ère Compa remmène le drapal aux accents discordants de ces malheureux tapins qui écorchent nos oreilles. Toujours affolé, Pesseaud rend le drapeau, mais il y a un progrès : cette fois-ci, nous sommes au port de l'épée et après une hésitation désespérée, il glisse en sourdine au Prince le commandement "Au Drapeau !". Bref belle cérémonie qui nous vaut une généreuse levée de crans (il n'y en avait point chez les anc) et une suppression de fantass pour la 2e Compa. C'est riche.

La Caisse a offert à la nièce du géné une corbeille d'azalées de 100F[3] qui a, parait-il, produit excellente impression. 

Mardi 12 à jeudi 15. Rien de neuf. On attend la visite de Millerand pour un de ces jours. C'est fixé à demain vendredi. L'astra est prise d'un beau zèle de propreté ; les tapins ont de la besogne. 

Vendredi. Le ministre doit venir aujourd'hui à 14h. Le monsieur du casernement passe partout et jette le coup d'œil du maître : on lave les corris, on nettoie les salles, les tapins y mettent de l'ordre… à leur façon ; on n'est plus chez soi ! Tout se prépare, jusqu'au disque que le zident de commiss, ce brave Daniel, est allé repeindre soigneusement en l'honneur du ministre. Un vitrier travaille 1/2h à gratter la peinture jaune des carreaux des salles 23-24 ! Le comble de la mesure, c'est celle de charger  b[illisible] et tapins de mettre les "Delorts" à l'endroit ! Fatale imprudence ! Heureusement que le cocon veille…

Il y a revue à 2h en petite tenue, capote réglo, phécys non-polos. Millerand arrive à 2h15, passe rapidement la revue. C'est tout de même moche, un ministre en pantalon et melon au milieu de tous les unifs ; on devrait leur octroyer un costume de cérémonie. Après la revue, on va à l'amphi Bourgeois, laïus mandant pour régler la cérémonie et nous prier de ne pas manifester d'approbation ou autre. Confé vase uniquement pour attendre Millerand, comme a soin de le dire le Colo Bourgeois. Tout le personnel enseignant de l'X est là au complet. Enfin arrive le Ministre et sa suite. Le Colo passe immé à la péroraison. Puis Millerand prend la parole ; il parle très lentement, en séparant ses mots. Laïus un peu emphatique et vaseux, en somme dans un sens conservateur pour l'Ecole, contrairement à ce que l'on croyait[4]. Résultat de la visite : levée de puniss, sortie pour le samedi suivant à midi ½. 

Samedi à lundi. On a décidé d'organiser dans la salle des confés par chaque cocon à tour de rôle, sous prétexte d'apprendre à parler en public ! Le matin à 8h ¼, à la fin de l'étude, le cocon désigné s'installe en face de la banale et pique au jus. Le camarade Huguet a entamé la série par un exposé sur le bonheur, très philosophique et profond. 

Mardi. Confé Bérenguier sur la Flotte et services attenants. 

Mercredi. Confé Michel : souvenirs de jeunesse en Algérie. On décide pour demain soir le punch des Marseillais. On a choisi la crypte de l'Annexe qui est assez peu fréquentée ; on sera en sécurité.

Chahut au réfec le soir ; "la Patate" se frappe et prévient Haegelen qu'il y aura des crans. Les Cyrards ont dû être sidérés de nous entendre gueuler à ce point et d'accueillir le bazoff par la chanson des Moineaux.

 

Jeudi. Pour l'affaire du réfec, l'astra veut 4 noms à 3 crans ; il y a des volontaires. Qui est-ce qui se propose ? C'est… Lebel ! 

Vendredi. Nous avons fait notre punch et nous sommes bittés !

Voilà : notre anc Michel François, poudrier, invité à notre punch des Marseillais, arrive à 9h ½. On attend 10h ½ pour partir à la crypte. Tout va bien ; Mestreaud, qui veut venir un peu plus tard, ira seul. Une fois dans la crypte, Bérenguier veut aller chercher un verre, qu'il a oublié : il se fait apercevoir par Allah qui circulait dans la cour, et au lieu de s'en aller, il revient à la crypte, ce qui indique au bazoff notre cachette ; avait-il eu vent des projets de punch ? Toujours est-il que 3 bazoffs (Lallemand et Lametz en plus) montent la garde à l'entrée de la crypte dont ils ne savent sans doute pas ouvrir la porte qui n'a qu'un verrou intérieur. Notre punch pendant ce temps se passe tranquillement (Remarque : il était fort bon mais les gâtals trop rares). Après un Artilleur, on essaye de fouloquer mais nos types sont toujours là-haut et finalement, la porte est ouverte et ils descendent. La crypte est sans issue : Michel François se fourre dans le colo, je le suis, puis Bérenguier s'amène ; nous entendons les cocons bittés, hélas ! donner leurs noms en prévision d'un schiksal ; puis nous sortons de notre trou sans être repérés, une fois tout le monde dehors, et nous rentrons au caser. Là, on apprend que Mestreaud a été bitté aussi dans les corris du réfec. Ça sera donc 8 crans pour chacun, à moins qu'il n'y ait augmentation.

Nuit mémorable ! On ne s'endormit que vers les 2h1/2-3h. François Michel se rend à l'usine élec et coupe le Pavillon. 

Samedi. Déci remarquable : Σ = 122 krans.



[1] Député de la Seine et Ministre de la Guerre du gouvernement Poincaré..

[2] Commandant en second de l'Ecole en 1913.

[3] 335€ (2014).

[4] "Nous ne sommes pas ici dans une école spéciale, mais bien au contraire dans une école d'enseignement supérieur, de haute formation intellectuelle. Ce qu'on y apprend n'est pas toujours, il est vrai, d'une utilité pratique immédiate ; mais il n'en résulte pas que l'objet de votre enseignement forme un bagage inutile, car c'est en matière intellectuelle, par-dessus tout, qu'il est juste de ne pas omettre "le superflu, chose nécessaire."

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