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Mémoires d'un artilleur
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10 juillet 2010

Changement de travail

Mardi dernier, 21 décembre, à 9h du soir, le Prussien s'amène vers moi avec son air réjoui des plus grands jours et presque en me tapant sur l'épaule, il me dit : "Allo, Bernier, Wie get es Hinen ? – Gut, Dankeshön", ai-je répondu naturellement. Alors il m'a tenu un assez long discours où j'ai compris quelques mots. Il s'agissait surtout de dessin et j'en ai déduit qu'il me disait que j'allais avoir très prochainement ma place au bureau de dessin, le 27 décembre comme m'avait dit Joubert.

Mercredi 22 décembre, à 5h, on m'appelle au bureau des ingénieurs. J'y trouve le Prussien et Bilbao (de leurs vrais noms Heiselich et Mühlbacher) et le Prussien se met à me parler, heureusement en s'appliquant, et sans le bruit des machines, je le comprenais encore mieux. Alors voici ce qu'il m'a dit. "Naturellement, nous n'avons que faire d'un ingénieur hydraulicien. Alors je viens vous demander de choisir l'une des deux situations suivantes, maintenant que vous avez suffisamment travaillé sur les machines. En tant qu'ingénieur, vous connaissez bien le dessin, sans doute ? Vous l'avez bien appris, vous savez bien lire un dessin, interpréter ? – Oui, naturellement, ai-je répondu, j'ai appris tout cela. – C'est bien, vous en savez sans doute beaucoup plus que moi là-dessus. Eh bien je vous propose une place de contrôleur, de vérificateur de toutes les pièces finies qui sortent de l'atelier, de la Presse et du Trishall. C'est beaucoup plus un travail cérébral, spécialement ce qu'il faut pour un ingénieur, tandis que la simple place de dessinateur dont on vous avait parlé n'offre guère d'intérêt, ce n'est que du travail manuel." Alors moi, très perplexe, je lui demande ce que c'est qu'un contrôleur, en quoi le travail consiste. Et il me mène dans une toute petite pièce à côté du bureau, où Bilbao me montre des outils d'une extrême précision destinés à contrôler si une pièce finie a bien toutes les dimensions prévues sur le dessin, qu'il faut dans ce cas évidemment savoir lire bien comme il faut. Il ne s'agira naturellement à peu près que de pièces de l'outillage; il s'agit de vérifier par exemple la grandeur des trous, le filetage, l'emplacement des diverses rainures, vérifier toutes els cotes, surtout évidemment pour les objets de précision. De plus, étant Français, je pourrais alors dire aux ajusteurs pourquoi ceci ne colle pas bien, ce qu'il aurait fallu faire, ce qu'on peut encore faire pour que ça aille mieux, etc., etc. (car les ajusteurs sont tous français, prisonniers ou prisonniers libérés). Il s'agit là évidemment d'un boulot bien pépère, mais qui paraît de prime abord manquer un peu d'intérêt. Enfin, retournant dans le bureau, le Prusco me demande si j'acceptais cette place. Il poussait tant et plus dans ce sens, me montrant des tas d'inconvénients au bureau de dessin. Je lui ai demandé 24 heures pour réfléchir et me renseigner auprès de gens un peu compétents en la matière. On m'a d'abord conseillé le bureau de dessin, surtout que je sais de quelles libertés jouit Joubert là-haut, ne serait-ce même que pour me soustraire à l'emprise du Prussien qui fera toujours tout ce qu'il pourra pour embêter le monde. C'est peut-être simplement ça qui le pousse à me garder, car il ne doit pas tellement avoir besoin d'un chef contrôleur, il y a déjà "Tête de Mort" qui fait ce métier, ça doit pouvoir suffire (Tête de Mort, c'est le contrôleur des ajusteurs). Finalement, tous les renseignements pris ne parvenaient pas à me décider. Le Jeudi 23 décembre, en allant travailler, je me disais "je vais sans doute prendre cette place de contrôleur, mais il y a encore un type à qui je n'ai pas demandé son avis, Debard, un tourneur de métier, qui doit savoir un peu ce que c'est que le contrôle". Lui, il m'a franchement conseillé le bureau de dessin. Alors à 2h 5, à ma machine, quand Bauer est venu me donner des directives pour mon travail, il me demande : "Alors, Bernier, qu'est-ce que vous avez choisi ?" J'ai été forcé de lui donner une réponse et je lui ai dit "dessinateur". Bauer était depuis hier très souriant, il m'avait dit "Vous allez avoir une place de Meister, maintenant, vous allez commander les autres !"

Il m'a dit ensuite : "vous irez dire ça à Mühlbacher" (Heiselich n'était pas là). J'ai aperçu notre Bilbao à 4h, je lui bondis dessus et je lui dis "je préfère dessiner". Alors il me dit : "mais qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse d'un dessinateur ? Ce n'est pas une usine de construction mais une simple usine où l'on fait des commandes, un point c'est tout. Vous serez contrôleur." Dans ces conditions, ce n'était pas la peine de me demander, la veille, ce que je voulais. De toute façon, il vaut mieux dans ce cas que j'aie dit que je préférais dessiner. Enfin la question est réglée : à partir du Lundi 27 décembre, monsieur Maurice Bernier passe de la Fräserei à la Schlosserei et devient contrôleur. Nous verrons demain matin le métier.

A 6h, le Prussien qui s'est ramené m'a dit : "alors, Bernier, vous allez être contrôleur à partir de Lundi ?" Ensuite il m'a tenu un long discours sur le dessin, sans que j'y comprenne grand' chose. Enfin le fait est là. Lundi, ça change. Nous allons voir ce que nous allons voir. Un ennui sera qu'il me faut travailler 11 heures par jour, de 6h à midi et de 1h 1/2 à 6h. Le Samedi, arrêt du travail à midi. Je serai toujours de jour ainsi mais 60 heures par semaine, surtout 11 heures par jour, c'est beaucoup. C'est bien comme avant, me direz-vous, mais je m'étais fort bien habitué à ne travailler que 8 heures.

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